Un voyage éthéré

بواسطة | 8 نوفمبر 2017 | مقالات | 3 تعليقات

Hier, le marchand de sable était absent. Par crainte d’endurer une nuit blanche, mon voyage nocturne s’annonçait thaumaturgique. Par miracle, je devais me mettre dans la peau de quelqu’un que j’admirais depuis longtemps. Pour une bonne prouesse, la réincarnation prenait une forme angélique. D’ailleurs, la personne en question mérite cette performance.

Mon cher cousin et ami Adel débattait un jour l’histoire des religions en général et en particulier les monothéismes (islam, christianisme, judaïsme). C’est à cette occasion que m’est venue la hantise des anciens écrivains arabes qui argumentaient leur antithèse conceptionnelle dans un monde foisonnant d’engouement radical et fanatique.

Moi, Ibn aL-Rawandi, d’origine iranienne, j’ai vécu à l’époque médiévale entre l’année de ma naissance en 827 après J.C et l’année de mon décès en 911. Certains disent que j’ai rendu mon dernier souffle un peu plus tôt. Les opinions sur le lieu où j’ai vu le jour divergent: Ispahan, Khorassan, Array…Tout ceci m’est totalement indifférent. Ma vie personnelle compte peu. J’ai le souci de vous dévoiler mon profil idéologique qui ne cesse d’acquérir le consentement ou le désaveu des ulémas et philosophes arabes. En fait, mes idées sont religieusement problématiques pour la plupart du clercs musulman de cette époque.

Dans ma première jeunesse, j’étais un pratiquant assidu. Je faisais mes cinq prières quotidiennes, je jeûnais le Ramadan, je payais le Zakat (impôt sur le profit), je traitais mes parents avec compassion, je faisais de l’aumône aux nécessiteux, je ne guettais pas les femmes. Par Malheur, le pèlerinage à la Mecque me manquait pour le couronnement de ma foi. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que ce rite est parfaitement futile.

Les jours passaient et je me languissais. Je m’étouffais dans mes habits de dévot. Je m’imaginais, là-bas dans le paradis, muet, paisible, complètement immobile, hilare, niais, et vide. Et tout ça pour l’éternité! Cet immense jardin de plaisirs ne m’était qu’une absurdité. Après tant de tergiversations, Je pris ma décision. Il fallait partir loin, très loin.

Mon héritage iranien des temps des Achéménides me rendait bouffi d’orgueil. Persépolis est là avec ses ruines grecques témoins de la puissance de cette dynastie. On disait que la main grecque était le ferment de cette civilisation. En effet, les guerres médiques avaient certainement un aspect macabre mais par contre, elles facilitaient les communications du savoir humain. C’est ainsi que les rois persans, s’attribuaient le génie hellénique pour ériger leurs effigies. Ils procédaient ainsi  par orgueil et non par carence d’artistes! En traversant mon pays en direction de l’ouest, je méditais sur cette histoire quelquefois tragique. Le beau prophète Mani avec ses habits teints en safran, sa jambe boiteuse et son manuscrit annoté de poésie, avait connu un sort lugubre. Quel dommage! Ses écritures ont été tragiquement bafouées par l’avènement de l’Islam. Et voilà, moi  Abou Al-Hassan je me suis converti à la nouvelle religion avec quiétude et consentement quasiment entier. Ma jeunesse n’était pas rassasiée. Je voulais approfondir mes connaissances théologiques. J’avais des questions insolubles. Les réponses ne pouvaient venir que de Bagdad, la capitale des Abbassides.

J’accompagnais une caravane marchande d’une cinquantaine de chameaux sous un soleil de plomb le jour, et un fourmillement de constellations la nuit. Après quelques semaines, me voilà à Bagdad  la magnifique. J’avais hâte à contacter un certain Al-Warraq, recommandé par l’un de mes amis. C’était une personne fort dilettante, de confession Mou’tazilite, un érudit, et de surcroît un “éditeur” célèbre. Son nom est synonyme du papier (waraq en arabe). Sous son influence, j’avais quitté pour de bon mon sunnisme. Je copiais d’exemplaires de livres que j’annotais quelquefois de remarques ou de corrections. Mon maître ne tolérait toujours pas mes idées non conventionnelles. Je m’étais vite brouillé avec lui. J’avais pris le côté du chiisme.

Quelques mois après, je menais un combat farouche contre le Mou’azilisme qui avait influencé le calife Al-Ma’moune. J’avais pu en peu de temps écrire plusieurs livres critiquant pratiquement tous les courants philosophiques. J’avais dû attendre le couronnement d’Al-Moutawakel, successeur du défunt prédécesseur pour être introduit au palais dans l’intention de lui présenter mon nouveau livre “l’émeraude”. J’avais de l’audace à lui divulguer mes nouvelles conceptions argotiques. Une astuce m’avait délivré  du courroux du calife: j’avais laissé le soin aux Brahmanes de dire ce que je désirais. J’étais dorénavant connu dans tout le pays. Le titre de mon livre faisait référence à la faculté de l’émeraude à maîtriser les vipères!

Sur ordre des autorités religieuses, mes manuscrits ont été brûlés, déchirés et éparpillés sur les eaux de l’Euphrate. Ce qui est parvenu à vous, vous les gens du vingt-et-unième siècle, ce sont les répliques de mes contemporains à mes thèses. Tout ce qui me revient a disparu à jamais. Mes adversaires m’ont inconsciemment servi. En dépit de leur venimosité, je les remercie.

L’innovation que j’ai introduite dans la pensée arabe n’avait rien d’égal que chez les adeptes de la laïcité. D’ailleurs le terme  d’innovation est très souvent synonyme d’athéisme. Les ulémas craignaient beaucoup cette ligne de jugement.

Al-Ma’arri, le poète sceptique, avait écrit que je m’adressais à Dieu “Allah”de la façon suivante:” Tu donnes à l’homme les moyens de vivre comme le ferait un vieux pingre. Un homme eut-il fait un tel partage, nous lui aurions assurément dit: “Tu nous a escroqué”

Moi, Ibn Al-Rawandi je disais que le Coran, possédant des contradictions, ”loin d’être inimitable, est une oeuvre de qualité inférieure, car il n’est ni clair, ni compréhensible, ne possède aucune valeur pratique et n’est certainement pas un livre révélé (dicté par Allah)”. J’avais critiqué la Qibla (direction vers la Mecque), la Ka’aba (temple cubique avec sa Pierre Noire), les interdits alimentaires, et j’avais mis en doute les miracles attribués à Mahomet, souvent basés sur un seul témoignage. Je disais que la raison est le plus précieux que Dieu nous a légué. C’est par cette raison que l’homme connaît le Suprême et ses bienfaits et qui valide les commandements. Si le prophète vient pour confirmer ce que la raison connaît comme bon ou mauvais, licite ou illicite, alors nous considérons sa mission comme nulle et ses preuves inutiles. Si sa mission contredit les conclusions de la raison, nous rejetons alors le prophète…

L’inadmissible est de suivre un être humain en tout point semblable à toi-même. Ce “messager” use de toi à son gré comme un animal ou un esclave.

Moi, comme les autres “hérétiques” de mon temps nous avions suivi le chemin le plus court pour attaquer le Créateur. Nous avions attaqué son messager!

Mon ami le poète Al-Thughûraî disait: “ Je m’étonne des juifs et de leur Dieu qui se réjouit du sang versé (…) et des gens venant des pays lointains pour se raser le crâne et embrasser une pierre”. J’en suis totalement d’accord.

Moi, Abou-Alhassan, j’étais hérétique à l’état nature. J’aurai dû être comme Ibn Abî al-Awjâ qui était allé un peu plus loin que moi dans son antithèse de la religion. Il avait écrit; “En disant Dieu, tu te réfères à un absent. S’il existe vraiment, pourquoi ne se manifeste-t-il pas à ses créatures pour les appeler directement à son culte? S’il traitait directement avec les humains, il serait plus facile de croire à son existence.

Certes, j’avais vécu durant l’âge d’or du califat Abbasside du temps d’Alma’moune, mais j’avais passé à l’au-delà sain et sauf. Je n’avais pas été emprisonné, ni détenu, ni questionné, ni torturé, ni massacré. Quel miracle! En fait, nous étions moi et mes condisciples, un peu proche des agnostiques. Les libres-penseurs avaient de la place et  pouvaient être admis dans la société. Malheur à vous, les gens du temps moderne!

Mon cher cousin et ami Adel, si un jour, tu as l’occasion de passer près de ma tombe, jette-moi un petit salut. Tu liras: ci-gît Ibn-Alrawandi un sceptique avéré. Je vivais dans un monde plus ouvert à l`esprit que le vôtre.

د. شوقي يوسف – لبنان

3 التعليقات

  1. Maissa Boutiche

    , Bonsoir Gentleman Chawki, un très beau récit que je de lire, magnifique narration 🙂 🙂 Amitié.

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  2. Chawki Youssef

    Chère Maysoun
    Après tant d’années de pratique médicale le moment est venu pour me consacrer à l’écriture.Comme tu as probablement constaté,jesuis un libre–penseur et profondement laïque. Je ne cherche pas à choquer personne. Je vais à mon propre plaisir.
    Merci pour ton commentaire.

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  3. إبراهيم يوسف

    د. شوقي

    الأعمارُ بيدِ الله وحده يا صديقي، والأطباء يتحدثون إلى الناس عن الحياة قبل الموت. ألا تستدعي إشارتك للموت اللعنة على الشيطان..!؟ علام العجلة يا حبيبي في طيِّ صفحات العمر المكتوب في صحائف الزمن، وأنا دائما في شك من صحيح أمري..!؟ لعلك لم تقرأ القول المأثور: اعمل لآخرتك كأنك تموت غداً..! وأنت ممن يعملون لدنياهم ويقبلون بشغف على الحياة..!

    ” لا توحشِ النَّفس بخوفِ الظّنون *** واغنمْ من الحاضرِ أمنَ اليقينْ / فقد تساوى في الثّرى راحلٌ غداً *** وماضٍ من ألوفِ السِّنينْ”. ألم يكن الخيام أرأف بنا من ابن الراوندي والمعري ألف مرة..!؟ الرحمة الواسعة على روح ابن الراوندي، والحسرة على آثاره التي تاهت عبر طيات الزمن. أرجو والرجاء أعلى مرتبة من التمني، العمر الطويل لك ولسائر الأصدقاء السامعين.

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